Le souffle frais du vent caressa le visage de Mordred qui expira lentement. Son haleine forma un nuage de buée qui se dissipa en quelques secondes dans l’air. Il sourit. On était fin septembre, et un froid presque hivernal s’installait déjà sur l’Angleterre. À ce rythme, mi-octobre, le Lac se mettrait à geler! Pour l’instant, il ne reflétait que l’éclat de la lune. Le jeune Serdaigle laissa ses doigts tremper dans l’eau. Elle était extrêmement fraîche. Lui qui n’était pourtant pas frileux ne s’y serait jamais glissé!
Il était tard. Peut-être une heure du matin, voire deux. Mordred ne se trouvait au bord du Lac que pour une raison précise: vider son esprit, offrir son âme au silence, et son esprit à la paix.

Et il avait réussi son objectif. Calme, apaisé, sa respiration n’était plus saccadée comme précédemment, ses poings n’étaient plus serrés, sa mâchoire, décrispée, son regard de nouveau doux, sans lancer des éclairs menaçants. Ils avaient repris leur couleur d’onyx, perdant cette terrifiante couleur perle qu’ils arboraient lorsque le jeune homme s’énervait de cette colère froide si dévastatrice.
Le Serdaigle se releva, frappa sur ses fesses légèrement humides à cause du bord du Lac, et s’éloigna de sa surface aussi sombre que ses yeux pour retourner vers le château. Il était loin d’être fatigué, et comptait aller dans une salle vide pour s’entraîner à son stupide sortilège de Camouflage. Maintenant que ses pensées n’étaient plus totalement négatives, il sera plus apte à se concentrer. Il devait prouver ses capacités au professeur demain, et n’avait encore même pas essayé de s’entraîner. Il se savait capable d’y arriver en une seule nuit, mais tout de même.

Devenue une ombre parmi les autres, Mordred entra dans le château, incroyablement silencieux et furtif. Il n’y avait aucun risque que Rusard ne le surprenne. Combien de fois était-il sorti la nuit de sa salle commune pour un de ses vagabondages nocturnes, qu’il avait frôlé le vieux concierge et sa chatte maléfique, sans qu’aucun des deux ne sachent qu’il était là? Cela se comptait sur tous ses doigts de pieds, ses doigts tout courts, ses oreilles, son nez, ses yeux. Bientôt, ses cheveux.

Il grimpa silencieusement au cinquième étage, gravissant les escaliers quatre à quatre, rapide, élégant, invisible. Il était comme un souffle d’air dans Poudlard. Personne ne pouvait le saisir, rares étaient ceux qui le sentait, et personne ne le voyait.
Aussi fut-il rapidement devant la salle qu’il convoitait. Mais elle était déjà occupée. Il s’y glissa tout de même, toujours aussi silencieux qu’un rêve. La personne ne le vit pas. Il lui tournait le dos.

C’était un garçon, plus petit que lui en taille. Il portait les cheveux mi-long, se tenait un peu courbé, brandissait sa baguette contre un mannequin qu’il avait dû faire apparaître. Mordred n’avait nul besoin de voir son visage pour savoir qui il était. Akhean Rogue. Son neveu. Lui-même aurait dû s’appeler Mordred Arthur Rogue. Mais il avait renié le nom de son père pour porter celui, plus celtique, plus mystérieux de sa mère. Renié ce père qui les avait abandonnés, son frère et lui, pendant des années jusqu’à la mort de son premier fils, Nathan. Akhean n’était pas au courant du lien de parenté qui les unissait, peut-être même pas au courant de sa propre existence.

D’ordinaire, Mordred esquivait ce garçon aussi ténébreux que lui. Il ne voulait pas l’aborder avant un moment. Avant de savoir réellement ce qu’il valait. Mais le gosse avait quinze ans, maintenant. C’était son neveu. Aujourd’hui, calme et ouvert, le jeune Guenhwyfar se sentait prêt à affronter cela.

« - Si tu te tenais plus droit, et que tu te décrispais, tu arriverais à lancer ton sort.

Bon. Mordred était toujours aussi nul en sociabilité, mais on ne change pas juste parce qu’on est allé se poser au bord du Lac, hein! Mais il laissa un sourire flotter sur ses lèvres. Sa position était loin d’être menaçante, loin d’être agressive: il était appuyé contre le chambranle de la porte, les mains dans les poches, le regard sombre mais doux.
En réalité, les deux adolescents se ressemblaient de manière frappante. Mêmes cheveux. Mêmes yeux. Même maintien. Leurs traits avaient cette régularité inexpressive qui n’appartenaient qu’à la branche de la famille Rogue. Mais Mordred avait cette carrure fine et tout en muscles, cette silhouette presque famélique au regard. Akhean était mieux bâti que lui, avec deux ans de moins. Ce qui n’enlevait en rien à la puissance physique de Mordred, bien au contraire. Mais il tenait cela de sa mère.

« - Sais-tu qui je suis?

Changement dans le ton du Serdaigle. De sérieux, il était passé à curieux. Se détachant de la porte, il la ferma et fit apparaître un élégant fauteuil noir dans lequel il s’assit, son regard sombre toujours fixé sur le jeune Serpentard.

Mordred n’avait pas réagi physiquement lorsqu’Akhean l’avait appelé « Papa ». Mais son cœur fit un bond étrange. Ressemblait-il tant que ça à son défunt frère? Il avait vu une photo de lui dans le journal de l’école. Il ne trouvait pas tant de similitudes que cela. Mais il ne s’en trouvait aucune avec son frère jumeau non plus alors que souvent, on les confondait bien que Gareth ait acquis la carrure des Rogue…
Et le cœur de Dred avait fait un bond. Son cœur qui s’était tu si longtemps, et qui ne se réveillait qu’en présence de Gareth. S’il y avait eu un doute comme quoi Akhean était de sa famille, il n’en existait plus aucun. Ce jeune Rogue était bel et bien son neveu. Un éclair, rapide, fugace, indiscernable éclair de tendresse passa dans les yeux d’onyx du Serdaigle.
Et dans sa tête, l’image de sa petite sœur sourit de contentement.

« - Le geste est bon. La formule aussi. Seule ta posture et ton esprit sont des obstacles à la réalisation de ton sortilège. Oublie tes soucis. Vide-toi la tête. Et jette ton sort…

Les conseils de Mordred étaient en effet excellents. Il savait les suivre à la lettre, mais ignorait qu’il était capable de les transmettre à d’autres. Il n’était pas professeur, après tout!
S’asseyant plus confortablement dans son fauteuil, le jeune homme se demanda comment dire à Akhean qu’il était son oncle. Un oncle de seulement deux ans de plus que lui bien qu’un monde les sépare. Mordred avait connu la mort, la souffrance et… Akhean aussi. Le Serdaigle se rendit alors compte que, finalement, ils se ressemblaient peut-être plus qu’ils ne le pensaient. Le visage impénétrable du jeune Serpentard, similaire à celui de son aîné, en était une des preuves.

Bref. Vider son esprit était une chose facile à dire, mais peu à faire. Mordred avait mis toute sa première, sa seconde, et sa troisième année avant d’y arriver plus ou moins. S’il excellait désormais dans cet exercice, ce n’était qu’après de multiples coups de colères, et poings rageurs contre de pauvres murs sans défense. Et pourtant, il était précoce. Parfois, les gens mettaient des années et des années avant d’enfin réussir… Guenhwyfar avait découvert que cette capacité était presque un don qu’il était parvenu à exploiter; et ce don lui permettrait plus tard d’être un très bon occlumens et, avec beaucoup plus de pratique, un bon legilimens. Akhean connaissait-il ces formes de magie? La façon dont il rendait son visage impassible avec tant de facilité laissait supposer que oui. Mais il n’y réussissait pas tout le temps, visiblement, son murmure plein d’espoir et de méfiance le prouvait.

Pour commencer, Mordred décida de se présenter. Après tout c’était une manière polie de faire connaissance, et la lueur qu’il avait lue dans les yeux aussi noirs que les siens d’Akhean prouvait qu’il le reconnaissait plus ou moins, en tout cas, qu’il était au courant de son existence. Avec un léger sourire qui ne devrait pourtant pas se trouver sur ses lèvres, le jeune homme se jeta à l’eau.

« - Je suis Mordred Arthur Guenhwyfar. En septième année à Serdaigle.

Il réfléchit un instant, puis ouvrit à nouveau la bouche. Ravala les mots avant qu’ils ne puissent s’échapper. Sa phrase redevint pensée, et il la reformula dans son esprit, avant de dire doucement:

« - Tu n’as nul besoin de te présenter, Akhean. Je sais qui tu es.

Bon, c’étaient de bien grands mots. Mordred connaissait les origines, le nom, et le lien qui les unissait. Pas réellement plus. Il savait qu’il fréquentait une adolescente rebelle aux cheveux blonds et aux grands yeux gris, mais qu’il était somme toute un peu solitaire.
Au moins, la phrase de Mordred sous entendait qu’il était au courant de quelque chose qu’Akhean ne savait pas. La curiosité de ce dernier le pousserait-il à répondre, ou préférerait-il faire le fier et découvrir tout par lui-même? Car il n’y avait finalement que très peu de difficultés pour savoir cela. Si Mordred était d’une discrétion sans limites, Gareth s’était forcément confié à des gens. De plus, le meurtre de leur famille n’était pas passé inaperçu, et quelques journalistes fouineurs avaient découverts le secret. Cependant, Mordred avait été plus rapide qu’eux et les avait grassement payés, ou grandement menacés, pour qu’ils ne parlent pas.
Mais avec ces vipères, sait-on jamais?

Mordred haussa un sourcil face à l’explosion de colère injustifiée d’Akhean. Ses yeux virèrent lentement au vert foncé. C’était un signe d’agacement que le jeune homme ne pouvait effacer: contrôler son visage, ses expressions, ses mouvements, d’accord, mais comment empêcher ses yeux de changer de couleur au gré de ses humeurs? Néanmoins, peu de gens étaient au courant de cette particularité, ainsi, pour l’instant, seul Gareth savait qu’il fallait partir en courant quand les prunelles de son frère viraient doucement au vert pâle.
Le jeune homme inspira profondément. L’heure était-elle venue de dire la vérité? Comment la présenter? Après tout, Dred ne connaissait ni son père, Severus Rogue, ni son frère, Nathan. Il connaissait leur histoire, grâce à ses recherches fructueuses (bon, pas au départ mais voilà). Oui, Mordred s’était renseigné, animé par la haine de leur père, à Gareth et lui. Il les avait abandonné, alors que leur mère était une femme fantastique.

Il s’était renseigné, et ce qu’il avait découvert ne lui avait pas plu. Severus Rogue, après avoir disparu, était reparti dans cette idiotie d’Ordre, ou chez ces idiots de mangemorts, puis il s’était fait tuer par Lord Voldemort lui-même, ou il avait disparu, tout était flou, en tout cas, plus de nouvelles. Et son premier fils, Nathan, après avoir quitté Durmstrang, s’était rendu à Poudlard pour sa septième année où il l’avait… redoublée! Pathétique.
De plus, il s’était entichée d’une dingue appelée Kayla Storm. Elle était mourante, il le savait, et ils ont quand même fait un enfant avant de tous les deux passer l’arme à gauche, sachant que Storm avait, d’après les ragots, un autre homme dans sa vie appelé Warren Rise… qui a élevé leur fils!

Eh oui, incroyable mais vrai. Mordred avait été dépité en découvrant tout cela, après trois années de recherche. Son grand frère avait eu la faiblesse de confier son propre enfant à un Gryffondor qui avait aimé sa femme. N’importe quoi.
Pas étonnant que le petit Akhean soit dérangé!

« - Je ne me permettrai nullement d’insulter ton père, ton grand-père, ou qui que ce soit.

Mordred hésita. Il aurait voulu être avec Gareth pour parler de cela au petit. Mais il finit avec un regard braqué sur son neveu, d’une voix lente:

« - … ce serait insulter ma propre famille.

Et voilà, le Serdaigle avait lâché la bombe, cette bombe monumentale qui l’avait lui-même frappé des années plus tôt. Quoi, il avait un frère? Quoi, il avait un père? Quoi, il avait un neveu?
Pour Akhean, ce serait « Quoi, il avait deux oncles? ».
Sera-t-il en colère que les jumeaux aient gardé le secret si longtemps, aura-t-il l’intelligence de comprendre? Mordred attendait sa réaction presque avec avidité. L’avidité d’un Serdaigle tentant de comprendre tout et n’importe quoi.

En observant Akhean, remarquant la tension accumulée dans son corps, sa nervosité naturelle, Mordred se refit un jugement sur l’histoire de son frère. Il avait aimé une femme, certes. Pour elle, il en était mort. Il avait élevé son fils, tout de même, du mieux qu’il avait pu. Et Dred lui-même n’avait-il pas aimé? Il avait aimé sa mère, Gareth, et surtout, surtout, Guenièvre, sa petite Gwen, qu’il avait perdue. Cela ne le rapprochait-il pas de Nathan?
Peut-être.
Peut-être pas.

Le regard de Mordred se fit vague. Ses yeux clairs semblèrent vides, et son index gauche caressait machinalement le bord du fauteuil sur lequel il était assis. Qui était-il pour Akhean ? la réponse lui vint naturellement à l’esprit, mais un souvenir fracassant lui fit perdre pied, et il en oublia de répondre.
Il se rappelait sa vie, des années plus tôt, quand Guenièvre était encore en vie, quand sa douce mère avait encore le pouvoir de rire et d’éclairer la maison, quand son frère et lui étaient encore dans l’insouciance de l’enfance.
Tout la famille était à table, ce jour-là ; pour une fois, Mordred ne sautait pas le repas pour lire ou bien même tout simplement réfléchir, et Gareth n’était pas sorti jouer avec tout et rien. Cela faisait longtemps que ce n’était pas arrivé, un repas comme cela. D’habitude, un des deux frères étaient de sortie, et la plupart du temps, c’était Mordred. Petit, il éprouvait une véritable aversion pour Galantin, le nouveau mari de sa mère, même s’il aimait de tout son cœur leur fille, qui était donc sa sœur.
Les jumeaux avaient presque dix ans à l’époque. Guenièvre n’était qu’une petite fille, que Gareth aimait à appeler « crevette ». Elle babillait joyeusement, comme heureuse de voir sa famille réunie en un repas presque convivial. Galantin et Mordred ne s’adressaient pas la parole, Elaine entretenait la discussion avec son mari, et les deux frères discutaient.
Joueur, Gareth s’était mis à taquiner son jumeau ; qui pour une fois entra dans son jeu. La nourriture se mit à voler entre eux, faisant rire aux éclats la petite Gwen aux cheveux roux maculés de purée. Mais Galantin, qui s’énervait rarement, avait tapé du poing sur la table. « Ça suffit !, avait-il crié de sa voix de stentor, calmez vous tous les deux ! On ne peut pas avoir un seul repas en famille, calme, dans cette maison ? ».
Et Mordred s’était levé, son regard devenu presque gris clair braqué sur son beau père. Il avait dit d’une voix froide, calme, détachée : « Qui es-tu pour me donner un ordre ? Qui es-tu pour moi ? » et Galantin n’avait rien répondu.

Dans ce souvenir, Mordred remarquait avec étonnement la similitude entre lui et son neveu dans cette attitude identique. Le refus d’être attaché à quelqu’un, peut-être.
Les coins de ses yeux se plissèrent de petites ridules : c’était sa manière à lui de sourire. Il répondit alors au jeune Rogue :

« - Pour l’instant, Akhean, je ne suis personne, simplement un Serdaigle de septième année qui vient de t’annoncer quelques énormités. Peut-être qu’avec le temps, toi et moi deviendrons quelqu’un l’un pour l’autre. Mais si tu parles d’arbre généalogique…

Le jeune homme expira dans un rire silencieux.

« - Je suis ton oncle. Nathan Rogue était mon frère ; enfin, comme tu dois t’en douter, mon demi-frère. Ton grand père a rencontré ma mère dix-huit ans plus tôt ; j’ignore exactement quand il a appris notre naissance, à Gareth – sais-tu qui il est ? – et moi, mais tout est-il qu’il nous a envoyé une lettre, en expliquant qu’il était notre père, et que nous étions inscrits à Poudlard dès cette seconde. Et… j’ai appris de moi-même l’existence de Nathan, et par conséquent la tienne.

Mordred hésita quelques secondes. Il restait une dernière chose, par rapport à la famille d’Akhean, qu’il savait, et que le petit ignorait ; cependant, il valait mieux pour le Serpentard qu’il ne l’apprenne jamais. Akhean avait une autre tante, qui était la jumelle (quelle famille de jumeaux !) de sa mère, Kayla. Senda était une femme cruelle, sans cœur, au regard de tueuse et à la voix glaciale. Mordred ne l’avait rencontrée qu’une fois, pour lui soutirer des informations, et il n’avait pas apprécié cette rencontre. Il n’avait que quatorze ans lorsqu’il avait vu cette femme, elle ne l’avait donc pas attaqué ; et elle avait pris un malin plaisir à répondre aux questions de l’enfant, voyant son désarroi face à cette famille qu’il ne connaissait pas. Devait-il parler d’elle à Akhean ? lui cacher quelque chose supplémentaire pourrait le vexer pour l’avenir. Si le Serpentard finissait par faire confiance à Mordred, et qu’il découvrait de lui-même ce secret, il en voudrait terriblement à son oncle.
Le jeune homme décida qu’il lui en parlerait plus tard ; ou déléguerait cette tâche à Gareth.

« - Si tu désires voir la lettre de Severus Rogue, tu le peux.

Mordred fixa intensément Akhean. Cela devait faire beaucoup pour lui à avaler d’un coup, et le Serdaigle désirait lui laisser le temps de réfléchir, de comprendre, d’assimiler.
Bonne chance, petit, murmura mentalement le bleu et bronze.

Mordred sentit son cœur se serrer. Tout cela était bien étrange. Il avait fait tant d’efforts pour ignorer cette part aimante de lui-même, qui désirait rencontrer son neveu bien plus tôt que cela, et aujourd’hui, ces efforts étaient réduits à néant, et en voyant Akhean avec l’air aussi perdu, le Serdaigle se maudit d’avoir attendu si longtemps, au contraire de ce que disait son frère. Parfois, il vaut mieux écouter son jumeau.
Mordred avait donc le cœur serré, en entendant toutes les questions qu’avait Akhean, et toutes celles qu’il pouvait lire dans ses yeux. Il décida d’y répondre, d’y répondre franchement, et de ne pas attendre Gareth. De toute manière, il en savait beaucoup plus que ce dernier. Il faudrait cependant rapidement lui dire qu’Akhean était au courant…
Le jeune homme prit une profonde inspiration. Avait-il connu Nathan? Oui, et non. Il l’avait connu au fil de tout ce qu’il avait appris sur lui, mais il ne l’avait jamais rencontré.

« - Non, je n’ai jamais rencontré ton père, ni ta mère. Ce que je regrette, je dois l’avouer. Avoir un grand frère m’aurait sans doute bien plus.

Réflexion faite, un grand frère lui aurait dicté sa conduite, et Mordred n’aurait pas aimé. Ou alors, il aurait toujours vécu avec, et du coup, ç’aurait été naturel.
Inutile de revenir sur le passé, se morigéna-t-il.

« - Je n’ai reçu de Severus Rogue que la lettre dont je t’ai parlé, et j’avoue, sans mentir, que cela ne me plairait pas du tout de le rencontrer. Un homme qui abandonne une femme et deux enfants derrière lui n’est pas un homme; ou alors, il est mort.

Mordred était peut-être un peu dur. Le ton de sa voix avait été tranchant. Mais il ne comprenait pas que Rogue senior, après avoir appris l’existence de Dred et de Gareth, ne soit pas revenu. Au moins les rencontrer. Non, il avait eu plus important à faire… plus « important ». Quoi de plus important que la famille? Sous ses airs de glace, le Serdaigle était quelqu’un qui tenait à cela. La famille.

« - Je ne pense pas que tu aies de cousins… Gareth et moi sommes les seuls frères de Nathan - enfin, à ma connaissance - et ta mère…

Mordred hésita. Il avait prévu de tout dire, sans mentir, mais parler de Senda? Akhean ne doit pas rencontrer cette harpie. Mais le jeune homme finit sa phrase, lentement:

« - Mais ta mère à une sœur. Qui, je pense, n’a pas d’enfants. D’après moi, le jour où un homme décidera de lier sa vie à cette femme…

Cette fois, il ne finit pas sa phrase, mais Akhean avait sans doute compris. Mordred fronça le nez au souvenir de sa rencontre avec Senda Storm. La copie conforme de la mère d’Akhean. Ce serait un tel malheur s’ils se rencontraient, et que, à cause de cette ressemblance, le petit s’attache à la meurtrière…

Les questions suivantes étaient plus délicates. Akhean ne passait pas par quatre chemins, et, bien que ce soit quelque chose que Mordred appréciât, cela n’en était pas moins des questions très importantes, dont les réponses le seraient également. Aussi, le jeune homme garda un temps de réflexion, les yeux fixés sur son neveu, se grattant négligemment la joue droite, remarquant, inutilement, par la même occasion, qu’il fallait qu’il se rase.

« - J’aime toutes les formes de magie qui pourraient m’aider. Je ne suis pas passionné de magie noire. Elle peut parfois être utile, et appréciable, parfois nuire. Il faut l’utiliser avec parcimonie, et grande conscience de la chose. Et pour un but précis, pas seulement pour tester. Quand à ton destin, Akhean, toi seul le choisira. Néanmoins je pense que tu dois faire ton propre chemin plutôt que suivre celui d’un homme qui n’aspire qu’au pouvoir. Une fois le pouvoir obtenu, qu’y a-t-il donc à faire?

Les yeux de Mordred sourirent. Sa bouche ne le faisait jamais, mais de petites ridules apparaissaient au coin de ses yeux lorsqu’il souriait. Ses yeux redevenus de couleur normale, soit d’un gris si foncé qu’ils en paraissent noirs. Son regard s’attendrit encore.

« - Moi aussi je voudrais devenir quelqu’un pour toi. Je… je m’excuse d’avoir attendu si longtemps.

Mordred s’excusait, et ce jour était à marquer d’une pierre blanche.
Pourquoi avait-il attendu si longtemps? Il espérait qu’Akhean ne poserait pas cette question. La réponse était simple, évidente, pour le Serdaigle. Après avoir perdu sa petite sœur, sa chère Guenièvre, sa Gwen adorée, s’attacher à quelqu’un d’autre et risquer de le perdre également l’avait révulsé. Pourquoi avait-il attendu?
Parce qu’il avait peur.
Tout simplement.

L’utiliser. Akhean avait répondu spontanément, sans réfléchir, et Mordred eut un bref froncement de sourcils. Ce petit semblait ne pas totalement saisir ce qu’utiliser la magie noire à temps plein signifiait. Utiliser ce type de magie noircissait l’âme ; on ne restait pas innocent en pratiquant cela. Cet adolescent n’avait que quinze ans mais ses ambitions dépassaient déjà celles de ses deux oncles réunis. Des ambitions que Mordred n’allait pas encourager jusqu’au bout.
Il y eut un silence. Le Serdaigle croisait ses longs doigts sur ses jambes, les décroisait, parfois en faisait craquer un ou deux. Chez lui, ce n’était pas un signe d’ennui ou d’impatience, mais un geste naturel qu’il faisait sans y penser. Ses mains devaient toujours tenir quelque chose, manipuler un objet ; et en général, c’était sa baguette. Puis Akhean demanda où était sa tante, et le jeune Guenwhyfar haussa simplement les épaules avec un ricanement.

« - Oh, ne crois pas ça. Et pour ta gouverne, Gareth a toujours voulu te connaître ; c’est moi qui l’en ai empêché.

Le ton de Mordred était soudain plus dur et cassant, hautain. Oui, il avait eu peur de l’attachement envers ce garçon, et c’était pour cela qu’il ne lui avait jamais parlé, mais Gareth avait voulu le contacter dès qu’il avait appris l’existence de Rogue. C’était sous l’impulsion de son frère qu’il n’avait jamais approché le jeune Serpentard malgré son envie débordante. Et Mordred détestait qu’on s’en prenne à son frère. Aussi cassa-t-il aussitôt les rêves de son neveu, préférant lui mettre la vérité en face plutôt qu’il ne croie que cette tante, cete abomination plutôt, soit « sympathique ».

« - Sans ta tante, tu aurais connu ta mère plus longtemps que les dix minutes que tu as passé dans ses bras à ta naissance. Je me demanderai toujours pourquoi Nathan n’a d’ailleurs pas éliminé cette femme lorsqu’il en avait l’occasion.

Le dédain et le dégoût que lui inspiraient Senda Storm était bien visible sur le visage de Mordred. Il sortit sa baguette et donna un petit coup dans le vide. Aussitôt, une pile de coupures de journaux apparut en tas, dans l’ordre chronologique, ainsi que tout ce qui avait trait à la famille Rogue. Un tas plus petit concernait les Storm ; un tas que Mordred avait commencé à faire après la découverte de l’existence d’Akhean. Peu de choses pouvaient être récupérées sur cette famille. Les parents de la mère d’Akhean avaient été en fuite les onze dernières années de leur vie, et Kayla elle-même n’avait vécu qu’avec son oncle mangemort, et donc possédait peu à elle, puis avec Nathan ; et à l’époque n’avait toujours rien à part son compte en banque plutôt bien rempli, qui appartenait désormais à Akhean. Mais ce qui intéresserait le plus son neveu était sur le haut de la pile Storm. Une enveloppe, jaunie par le temps, fermée par de nombreux sorts que Mordred n’avait pas réussi à déjouer. Cependant, il s’y connaissait suffisamment pour avoir deviné que c’était une lettre de la main de Kayla Storm ; que cette lettre n’avait jamais été ouverte, et ne s’ouvrirait que pour le principal concerné. Et le nom de ce dernier était écrit sur l’enveloppe ; d’une écriture serrée aux grandes lettres. Akhean Storm-Rogue.
En présence de son destinataire, la lettre perdit son air terne, jaunâtre, et sembla aussitôt neuve. Mordred observa le phénomène avec attention. Il la désigna à Akhean.

« - J’ai retrouvé cela dans l’ancien appartement presque détruit de Nathan. Elle était euh… coincée sous un chaudron. Un sortilège m’a permis de savoir que même ton père n’y a jamais touché ; d’ailleurs je ne suis pas sûr qu’il ait eu vent de cette lettre. Les autres documents ne te concernent pas directement, mais pourront t’apprendre tout ce que tu désires savoir.

Mordred agita de nouveau sa baguette, et une photo apparut. La photo d’une maison. Elle était modeste d’apparence extérieure, isolée, au calme. Le paysage autour était à couper le souffle. Le regard du Serdaigle était doux, tendre en voyant cette photo, et de nombreux souvenirs remontèrent à la surface. Rien qu’en regardant cette photo, il pouvait entendre le rire de sa petite sœur résonner…

« - Et ça, c’est… c’est la maison, tu vois. Elle appartenait à Elaine, ma mère, mais lorsqu’elle est tombée amoureuse de Severus Rogue, il a mis son nom à la place de celui d’Elaine sur les papiers officiels. Ainsi donc, cette maison lui appartenait. Il est mort, ma mère est morte, son mari est mort, elle nous est revenue, à Gareth et moi. Mais en toute logique, elle est à toi aussi.

Mordred haussa les épaules. Cette partie là de l’histoire ne lui plaisait pas, mais alors pas du tout, mais Gareth avait insisté ; de plus, magiquement, Akhean était dans son droit de réclamer la maison. Les portes de la bâtisse s’ouvriraient sans problème devant lui, même si Mordred en était le propriétaire légitime.

« - C’est à Cardiff, au Pays de Galles. Cela peut devenir chez toi. Pas avant ta majorité cependant était donné que McGonagall est ton tuteur légal… ou il faut lui demander.

Mordred renifla d’un air dédaigneux pour bien montrer ce qu’il pensait d’étaler ces secrets de famille devant la Directrice de Poudlard. Si cette dernière venait à mourir, alors Akhean n’aurait plus de tuteur légal, et pourrait venir vivre chez eux, mais en attendant, jusqu’à ses dix-sept ans, les seules maisons qu’ils connaitraient seront Serpentard et cet orphelinat pourri.