Bonne lecture à ceux qui vont continuer !

Prologue

Le soleil se lève, ses rayons impitoyables brûlant mes rétines. Et moi, je le fixe, imperturbable. Il n’est même pas huit heures du matin. Et moi, assise sur mon banc, mon petit banc, je regarde la vie s’activer, en ce vendredi 24 décembre 2010.
Contrairement à d’habitude, aux jours « normaux », très peu de voiture sont sur les routes. Bizarre pour un vendredi. Non. Pas bizarre. Aujourd’hui, c’est Noël. Personne ne sort de chez soi. Ils dorment sans doute encore, à cette heure là. Les plus jeunes enfants sont peut-être déjà réveillés, les yeux grands ouverts fixés sur le plafond, en espérant que le père Noël leur a apporté cette console de jeux vidéos dont ils rêvaient tant.
Aujourd’hui, je vis mon six mille deux cent neuvième jour. C’est mon anniversaire. J’ai seize ans. Joyeux anniversaire, Shaé.
Née le jour de Noël.
Tu parles d’un cadeau!
Et puis, moi, ce soir, je travaille. Ce n’est pas le repos pour tout le monde. Les alcooliques ne se reposent jamais, et je suis là pour les servir. Mais hier, le patron m’a laissé ma journée. Je ne commence à travailler qu’à vingt-deux heures ce soir. Le bar est fermé toute la journée. Parce que le patron a deux enfants, que lui a donné sa femme grasse et désagréable.
Je soupire. Un nuage de buée s’échappe de mes lèvres pour s’enfuir dans l’air. Il fait un froid de canard, mais mon vieux manteau me protège bien; seul mon visage est exposé, et je le devine tout rouge, avec mon nez gonflé de morve. D’ailleurs, je ne cesse de renifler, et, quand j’étais petite, le docteur m’avait dit que l’on pouvait se boucher les sinus. Je plonge donc la main dans ma poche, et mes doigts froissent quelque chose. Ce n’est pas un mouchoir. C’est un billet de cinq euros, et je souris. J’aime bien mon patron. Cela lui arrive parfois de me faire des petites surprises comme ça. Et puis, c’est Noël.
Je remets le billet là où il était, et trouve, dans mon autre poche, le mouchoir tant convoité. Aujourd’hui est pour moi un jour comme les autres. J’ai seize ans, mais je ne me sens pas plus vieille qu’hier, et pas plus jeune que demain. Chaque personne grandit au fil des secondes, grandit à chaque instant, et personne ne le sent. Est-ce qu’un jour, je me lèverai, j’irai sur mon petit banc, et je me dirai « mince, j’ai quarante ans, qu’est-ce que je suis vieille! » ?
Bah. Pour l’instant, je n’en ai que seize; je ne me sens pas du tout fripée, ratatinée, je n’ai pas d’arthrite, je ne suis qu’une adolescente un peu trop maigre entourée d’un vieux manteau sur un petit banc.
Est-ce la vision que je donne aux passants dans la rue, quand ils me voient, assise ici? J’essaie avec amusement de voir par leurs yeux. Et je ne vois en effet qu’une fille aux yeux bien trop grands et gris, avec une casquette de laine enfoncée sur les oreilles d’où s’échappent quelques mèches blondes un peu folles.
De l’extérieur, je réalise avec un sourire, je parais sans doute pour une clocharde. Quelqu’un sans domicile. Qui ne peut pas se nourrir seul.
Vous vous trompez! Je nargue (qui? Qui nargué-je ainsi, moi qui étais seule sur mon banc en ce vingt-quatre décembre?), j’ai de l’argent pour manger, je ne mendie pas, j’ai un travail et un toit sur ma tête.

Je sors à nouveau les mains de mes poches, et frissonne. Mes cinq euros seront peut-être pour m’acheter des gants, finalement, c’est la seule chose qui manque à ma panoplie de SDF. Des mitaines, des mitaines noires.
Je farfouille dans mon gros pull que je porte sous mon manteau, et finit par trouver mon paquet de tabac. Je roule un peu maladroitement une cigarette, et craque une allumette.
« Tu vas avoir le cancer des poumons! » me disait ma mère d’un air réprobateur, il y a à peine deux ans. « Tu vas mourir, et je serai obligée de payer ton enterrement! ». « Au moins, tu ne paieras plus mes clopes », répondais-je toujours. Puis je la regardais mettre de la poudre brune sur de l’aluminium, le chauffer, et respirer la fumée à l’odeur désagréable qui s’en dégageait.
Aujourd’hui, en fumant ma cigarette, je me dis qu’il vaut mieux avoir de la nicotine dans le sang plutôt que de l’héroïne.
Ah, la drogue. Le dictionnaire définit ce mot comme étant un « nom féminin. Médicament médiocre, substance capable de modifier l’état de conscience. Nom donné aux ingrédients propres à la teinture, à la chimie, à la pharmacie. Drogue douce, stupéfiant qui a des effets mineurs sur l’organisme, comme les dérivés du cannabis. Drogue dure, stupéfiant engendrant un état de dépendance. »
Il y a toutes sortes de drogues. L’alcool, la vodka, l’éthanol, le rhum, le canard WC, le cannabis sous forme d’herbe, de haschisch, l’ecstasy, les champignons hallucinogènes, le LSD, la cocaïne, les amphétamines, le crack, l’éther, la méthadone, la kétamine, l’héroïne, l’opium, le peyotl, les somnifères…
Je ne me drogue pas. De temps en temps, cela m’arrive de fumer un peu de haschisch, mais pas souvent. Le soir en général. Je n’en prends jamais assez pour avoir les effets euphoriques, sinon, j’en voudrais encore et encore, je le sais, je fume seulement un petit joint avant de me coucher, parce que ça m’endort. Je ne considère pas vraiment cela comme mal, même si parfois je culpabilise en le roulant. Et en fumant à travers la minuscule fenêtre de ma chambre.
Je n’aime pas la drogue, la drogue dure, je n’aime pas les drogués, je n’aime pas les alcooliques. Pas mal pour une petite serveuse dans un bar de nuit, pas vrai?
Je n’aime pas tout cela, mais je m’y suis habituée. Le soir, quand le patron me laisse un peu d’argent pour aller acheter mon tabac, je vais chez mon buraliste ouvert jusqu’à deux heures du matin. Le patron me laisse une pause pour j’y aille. Et sur le chemin, je croise toujours les mêmes personnes.
Et parfois, elles ne sont tout simplement plus là. Au tout début, je me posais des questions. Je me disais « Où est donc passé ce vieux gars au nez tordu, celui avec sa petite bouteille de pinot? » et je me répondais toute seule « Il se droguait, il a dû faire une overdose; tu ne le reverras plus. ». Et le vieux gars au nez tordu était remplacé par un autre. Encore et encore, comme une litanie sans fin.
Qu’ont-ils donc à tous se détruire?

J’écrase ma cigarette sur le sol, et je me lève pour la jeter dans la poubelle. Une clocharde écolo. Un rire m’échappe, incongru, étrange dans ce silence. Je retourne m’asseoir, et pose mes fesses exactement à l’endroit qu’elles ont quitté.
Je remonte mon écharpe devant mon visage, et enfonce à nouveau mes mains dans mes poches en quête de chaleur. J’ai envie d’une petite tarte, une tarte toute chaude qui sort du four. J’ignore si une boulangerie est ouverte dans le coin, un vingt-quatre décembre. Mais rien qu’imaginer la saveur d’une pâtisserie, à l’abricot par exemple, fondant dans ma bouche dans une explosion d’odeur, pour un plaisir intense de mes papilles gustatives, et je salive.
Peu importe où se trouve cette boulangerie miraculeuse, je la trouverai.
Après tout, je n’ai rien à faire jusqu’à vingt-deux heures…

J'adore *o*

J'aime bien ton écriture

C'est vachement méga trop bien.

Comme l'a dit Kurt, j'adore ton écriture
et c'est vachement méga trop biiien !

Merci les gens Je continuerai cette fiction vous en faites pas si elle met un peu de temps à arriver, je dois un peu coordonner tout

La suite au fait? Elle en est où?