Si Jeremiah avait pu dormir ce soir-là, il n'aurait pas eu encore besoin de relire ce journal, dont il ne comprenait pas encore tout... Il lui fallait simplement en lire encore quelques pages, pour lui donner espoir... Jeremiah se faisait croire à lui-même que lire cette histoire lui permettrait de retrouver son frère plus rapidement, et de pouvoir enfin s'en faire un ami. Au fond de lui, quelque chose lui disait qu'il se trompait, que rien ne le rapprocherait jamais d'Ethan, mais c'était une idée trop difficile à accepter pour le garçon. Alors autant se voiler la face, ça aide à avancer.

Pour le peu qu'il en avait compris puisque sa mère refusait de lui en parler, il savait que ce journal avait été tenu tout d'abord par le premier mari de sa mère, un certain David G. Waters. Puis, quand ce dernier était mort, la mère de Jeremiah avait récuperé le journal, bien qu'elle ne fut plus mariée ni même en contact avec David. Le journal était simplement arrivé chez elle par hibou, sans qu'elle ne sut jamais qui et pourquoi on le lui avait fait parvenir. Elle avait donc pris le relai pour tout expliquer. Quant à Jeremiah, il avait purement et simplement volé le journal, parce qu'il ressentait le besoin de savoir pourquoi sa mère avait passé tant de temps à pleurer la plume à la main, une fois la nuit tombée. Il devait comprendre ce qui la boulversait à ce point. Et il en avait été tout autant boulversé...

A présent, il était hanté par les mots qu'il avait lus, et malgré son jeune âge, il venait de comprendre que la vie était bien plus compliquée qu'il n'y paraissait, et que sa propre vie ne serait plus jamais la même. Il était conscient d'en savoir beaucoup trop, et n'avoir personne à qui en parler rendait la chose encore plus difficile à vivre. Il n'avait que ce journal à lire et à relire, presqu'un ami. Il lui semblait en connaître les pages par coeur, les mots dansaient encore devant ses yeux quand il les fermait pour essayer de dormir... Puis ils se transformaient en film dont Jeremiah était le spectateur...

...

Nous sommes en 1978, au début du printemps, dans la maison d'une famille qui semble parfaitement heureuse. David, 21 ans, et sa femme Oriana, 20 ans, viennent d'accueillir leur nouveau-né chez eux. Le petit Christopher dort calement pendant que se multiplient les visites des amis des parents, les cadeaux s'entassent. Quand arrive Destan, le meilleur ami de David, nous en apprenons un petit peu plus sur cette famille... Sous le porche, installés dans des fauteuils avec une Bièraubeurre dans la main, les deux hommes discutent :
"-- Alors David, tu es un homme comblé on dirait?
-- Eh oui, que veux-tu, je ne peux pas dire le contraire... (une ombre passe sur son visage) Pourtant, c'était loin d'être gagné d'avance hein...
-- Oui, je me doute. Mais dis-moi, on n'a jamais eu l'occasion d'en parler vraiment, puisque je ne suis revenu d'Afrique que recemment. Vous avez eu des ennuis Oriana et toi?
-- Des ennuis, non. Mais rien n'a été simple. Nos familles n'ont rien voulu savoir, surtout mon père, tu t'en doutes. Tu sais, je ne pense pas qu'on voie tous les jours un Serpentard fils de Mangemort se marier avec une Poufsouffle, une Sang-Mêlé en plus.
-- Ah ça, c'est sûr... J'ose à peine imaginer la tête de ton père.
-- Sa tête encore, j'aurais pu lui pardonner... Mais les insultes, les coups et les sortilèges douloureux, ça ne passe pas. Tu sais, ça fait trois ans qu'on ne s'est pluis adressé la parole, et personnellement, ça ne me manque pas. Oriana m'a montré ce que j'avais de meilleur en moi, et ce qu'il y avait de meilleur chez els autres. Franchement, je n'aurais jamais cru que la réaction de mon père serait aussi violente... Difficile oui, mais violente...
-- Ouais, je comprends... Je t'avoue que quand tu as commencé à sortir avec Oriana, j'ai eu du mal à comprendre... Mais il suffisait de vous voir ensemble, ça coulait de source en fait... Mais du coup, ton père, il sait que tu as eu un enfant?
-- Non. A moins que quelqu'un le lui ait dit, dans quel cas il ne m'a pas donné de signe de vie pour autant...
-- Ouais... Et les parents d'Oriana?
-- Ah ça les a surpris, ils ont eu besoin de temps pour encaisser. Avec le recul, je me dis qu'ils ont dû avoir peur pour leur fille. Et si je n'étais pas celui qu'elle croyait? Et si mon côté Serpentard reprenait le dessus? Puis finalement, ça s'est tassé, ils ont vu qui j'étais. Maintenant, on les voit régulièrement, et ils sont déjà fous de Christopher..."
Puis, un appel de la maison. Il est temps d'aller à table. La conversation redevient plus légère et les deux hommes entrent en riant.

...

Deux ans ont passé. Le Seigneur des Ténèbres règne toujours en maître sur le monde des sorciers et la vie devient de plus en plus dure pour ceux qui le combattent. Mais David et Oriana restent en dehors de tout cela. Christopher grandit et cela suffit à leur bonheur. Dans cette scène, nous sommes sur le Chemin de Traverse, par une belle journée d'été. Christopher gambade joyeusement quelques mètres devant ses parents, qui le surveillent du coin de l'oeil. La journée est belle, mais personne n'oublie le climat de terreur qui fait loi, et il faut être vigilant sans arrêt. Vigilants, vigilants,... Ce jour-là, David et Oriana ne le seront pas suffisamment.
Alors que le bambin se retourne vers ses parents pour leur faire signe, un groupe de Mangemorts déboule de nulle part, écrasant tout sur leur passage. Tout, y compris la petite silhouette, qu'ils remarquent à peine, dont ils se fichent éperduement.
La silhouette semble voler dans les airs quelques instants, puis s'écrase au sol, une jambe pliée dans un angle absurde. Alors que Christopher se met à hurler puis à pleurer en regardant dans la direction de ses parents, David se jette en avant pour rejoindre son fils. Mais le groupe de Mangemorts continue d'avancer, repoussant l'homme dans les bras de sa femme... Quand le dernier serviteur du Mage Noir marche sur la poitrine du bébé sans même un regard pour lui, du sang foncé s'échappe de la petite bouche, qui ne sait plus crier, et ne criera plus jamais. David et Oriana hurlent en coeur, choqués, incapables d'autre chose.

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1987. Nouvelle scène, nouvelle situation. Par l'ambiance et les gens présents, nous comprenons que la vie a pris une tournure surprenante.
David tient un bébé dans ses bras, il sourit. Mais ce sourire n'est plus le même que celui que nous avons vu dans la première scène. La froideur de l'homme envahit la pièce, sa cruauté est palpable. Le David que nous avons connu heureux n'existe plus. La scène se tourne vers une femme allongée dans un lit, manifestement la mère du nourrisson, et ce n'est pas Oriana. La femme s'appelle Sirinaya, elle est le contraire même d'Oriana : une beauté froide, figée, presque superficielle. Au-dessus de la commode, accroché au mur, une photo représente Sirinaya et David en compagnie de Lucius Malefoy, souvenir d'une fête d'anniversaire chez les Malefoy. D'autres indices nous amènent à conclure que la nouvelle famille Waters penche plus vers le Seigneur des Ténèbres que vers la vie de bonté et de joie qui la caractérisait quand Oriana et Christopher remplissaient le paysage de David : un blason de Serpentard, des livres traitant de maléfices ou de "bonnes raisons de haïr les Moldus",...
Pour le moment, rien ne nous permet de comprendre comment David Waters a pu en arriver là.

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La dernière scène de ce film se déroule onze ans plus tard. Le célèbre Harry Potter est mort et les temps ont changé. Ethan est entré à l'école de sorcellerie de Poudlard.
Les batailles s'enchainent entre Mangemorts et ce qu'il reste de l'Ordre du Phoenix, tuant parfois des Moldus ou d'autres sorciers. David prend part pour la première fois à l'une de ces batailles. Il rêve pour son fils de l'avenir promis par le Seigneur des Ténèbres à son retour, il veut se battre pour lui. Les échanges sont durs, sanglants. David tient le coup. Il est blessé à un bras, mais il continue de se battre avec ferveur. Il n'a tué personne, et le regrette, il aimerait se rendre digne de son rang, tuer au moins un ennemi, par fierté. Il repère alors un sorcier qui semble plus malhabile que ses camarades de l'Ordre. Il s'avance vers ce Nick Wright, tremblant d'excitation. L'autre le voit arriver, mais la rage manifeste qui habite le Mangemort l'empêche de réagir. David lève sa baguette, se rend compte que sa gorge est terriblement sèche, et se fait violence pour prononcer les mots si longtemps interdits. "AVADA KEDAVRA !" ... Son cerveau en ébullition semble vouloir lui envoyer un message, mais David ne comprend pas assez vite que ce bruit qu'il entend, c'est la voix de Wright qui lui lance le sort impardonnable, et ce bruit qu'il n'entend plus, c'est son coeur qui a cessé de battre.

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Jeremiah s'était endormi pendant la deuxième scène, comme souvent, mais le film avait continué de tourner dans ses rêves. La nuit avait bien avancé maintenant. Le jeune garçon se retourna dans son lit, gémit quelques mots, puis se rendormit, lançant dans sa tête le second film de sa vie.

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L'univers est totalement différent de celui du premier film. Nous retrouvons Oriana, mais aucune trace de David. Le visage marqué par le chagrin de la femme nous donne à penser que David et Christopher font partie de son passé, mais pas un passé tout immédiat. Le calendrier pendu au mur nous informe que nous sommes en 1991. Sur le réfrigérateur, nous voyons un cliché montrant Oriana en robe de mariée au bras d'un homme souriant, datée du 18 juillet 1989. Son nouveau mari a l'air fou amoureux de sa femme et, sur la photo du moins, le couple réspire le bonheur.

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Juin 1993. Oriana, assise dans un fauteuil, pleure à chaudes larmes. Une autre personne est présente dans la pièce, mais reste dans l'ombre. Nous n'entendons que la voix, reconnaissant aisément David :
"A quoi t'attendais-tu Oriana? Tu espérais me faire du chantage, comment dit-on déjà?, ah oui... Du chantage affectif (le dégoût dans sa voix était palpable)? Aurais-tu oublié que TU m'as quitté? Que TU m'as demandé de ne plus jamais venir te voir? Puis as-tu aussi oublié que c'est toi qui est venue me chercher il y a deux mois pour me demander de t'écouter? Tu souffrais, et tu étais trop faible pour faire face, il t'a donc fallu faire revivre un fantôme de ton passé. Ah, oui, ça fait mal hein? Mais c'est ce que tu m'as dit, non? "Laisse-moi juste une fois revoir le David que j'ai aimé, je t'en prie, rien qu'une fois". C'est plus par goût de la volupté et du plaisir que par pitié que j'ai accepté tes avances. Nous avons fait ce que TU avais envie de faire, Oriana. Certes, je n'irai pas nier que cela m'a fait du bien...phyisiquement. Maintenant, ne viens pas me faire croire que je te dois quelque chose. Et, sache le, ça ne servirait à rien de vouloir rendre ton histoire publique, personne ne voudrait croire que ce...bâtard est de moi... Je te l'ai dit déjà une fois, et je dois manifestement te le dire à nouveau aujourd'hui : tu ne représentes plus rien pour moi, à présent je sais que j'ai fait une erreur en t'épousant il y a 17 ans, les sangs ne doivent pas se mélanger, le Sang Pur ne doit pas se pervertir. Finalement, la vie a repris ses droits, et avec le recul, je suis intimement persuadé que la mort de ton fils était une bonne chose, elle nous a ouvert les yeux."
David semble vouloir ajouter quelque chose, mais Oriana ne lui en laisse pas le temps. En un éclair, elle s'est ruée sur lui, tentant d'atteindre sa gorge, hurlant des mots qu'elle seule comprend, qu'elle seule entend. Mais David est bien plus fort que son ex-femme, et il lui suffit d'un geste pour la jeter à terre. Il lui lance le regard le plus méprisant qu'elle ait jamais reçu de sa vie et sort de la pièce.

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Cette scène ressemble plus à un souvenir qu'à un film. Nous retrouvons Oriana, en pleine conversation avec un enfant de trois ou quatre ans. Ils rient et rient encore...
L'enfant a les yeux gris acier, ils pourraient dégager beaucoup de dureté sans le sourire rayonnant que le petit visage arborait, le sourire de sa mère, les yeux de...
Puis l'enfant se calme un peu, et demande :
"-- Maman, j'ai quel âge?
-- 3 ans et demi, mon chat.
-- Je suis né quel jour?
-- Le 18 janvier 1994, mon chat, mais pourquoi ces questions?
-- Pour rien, j'aime bien savoir.
-- (un sourire affectueux) Tu veux savoir autre chose?
-- Oui, est-ce que Papa s'appelle Nicholas?
-- Non, Nick, c'est son vrai prénom. Ca ne te plait pas?
-- Oh si !! Et il est où là, Papa?
-- Il est parti mettre des méchants en prison !
-- Ouiiiiiii".
Zoom arrière, nous voyons toujours Oriana et Jeremiah, mais nous ne les entendons plus. Le calme de la maison nous laisse juste le temps de comprendre qui est Jeremiah, qui est Nick Wright et où se trouve ce dernier.
Puis on sonne à la porte. Nous voyons Oriana ouvrir à deux hommes qui lui serrent la main, la mine grave. Encore cette fois, nous n'entendons rien, mais tout est simple à deviner : un des hommes pose sa main sur l'épaule d'Oriana pendant que l'autre lui parle sans se départir de son air gêné. Au bout de quelques secondes, la femme porte ses mains à sa bouche pour étouffer un cri, jette un oeil vers la cuisine où se trouve toujours le petit Jeremiah en train de jouer avec des lettres magnétiques (il écrit "Maman" sur le réfrigérateur avec des lettres jaunes et bleues), puis s'effondre dans les bras du sorcier qui s'était avancé pour la retenir.
Pour elle, d'une certaine façon, l'histoire se répète...

...

Jeremiah s'était réveillé en sueur. Il n'avait pas crié, mais il s'en était fallu de peu. Ce "cauchemar", il le savait, était en réalité un souvenir enfoui au fond de lui. Il se rappelait de la suite. Sa mère avait pleuré et pleuré, puis elle avait dû lui expliquer que son père ne reviendrait plus jamais. Il n'avait pas pleuré tout de suite, il n'avait pas compris ce que "plus jamais" voulait dire... Puis, la peine était venue. Elle s'était accompagnée d'une certaine facilité à comprendre les "choses des grands", et de la souffrance de voir le chagrin de sa mère, même si cette dernière tentait de le lui cacher. Il avait grandi, mûrissant trop vite, mais il n'avait pas le choix.
Cinq ans plus tard, il avait volé le journal dans lequel il voyait sa mère écrire et pleurer tous les soirs. Longtemps, il avait hésité à le lire. Le garçon avait passé des heures et des heures à en caresser la couverture, décidant de l'ouvrir pour le refermer aussitôt. Il avait peur de ce qu'il allait y trouver.
Les pensées se bousculaient dans sa tête...
"Et maintenant?... Maintenant, et bien, je l'ai lu, plusieurs fois même, et si on me laissait le choix, je retournerais en arrière et je le brûlerais sans l'ouvrir. Mais je l'ai lu. Et il ne me reste plus qu'à attendre de pouvoir retrouver Ethan, je dois lui parler. L'année prochaine, je rentrerai à l'école. Ethan n'y sera plus, mais loin de la protection de Maman, je pourrai enquêter sur lui, sans inquiéter ma petite mère... Bientôt..."